Un jour, Monsieur Conte s'est dit :"Pourquoi ne ferais-je pas une histoire ? Elle parlera d'une princesse qui attend son chevalier servant et d'un dragon chargé de garder la
belle", les yeux dans le vague, en mâchonnant son crayon. Il développa le tout sagement, patiemment, tout plein de rêves dans les yeux, pour finalement se mettre à écrire. Sa plume créait des dizaines de mots à la minute sur
des feuilles remplies plus vite que la musique, mais l'homme, précautionneux, prenait garde à
faire attention à ce que ce soit joli, pour toucher les jeunes gens qui
verraient son histoire. Et puis, ensuite, il rajoutait des dessins à chaque fin de chapitre, pour permettre aux moins imaginatifs de percevoir son monde emplis de personnages hauts en couleurs. Quand tout fut prêt, il transporta son
livre tel une pierre précieuse chez lui, le mettant bien en
évidence pour que tout le monde puisse le voir. Mais comme ce Monsieur
Conte avait un grand cœur et qu'il savait que tous ne pouvaient lire, il
se mit à raconter oralement le fruit de ses pensées. C'est comme cela
que naquirent les conteurs, venant de conte, pour rendre hommage à Monsieur Conte qui donna son nom de famille à son invention. Au fil du temps, la voix de notre aïeux se fit plus
experte, réussissant à faire sonner ses phrases avec tous les accents les plus fous, allant du cri de la mère en colère
interdisant à sa fille de voir son prince charmant jusqu'à la douceur d'un
"Je t'aime" prononcé pour la première fois. Mais Monsieur Conte se faisait
de plus en plus vieux et il sentait que bientôt, ce serait la fin. Alors, appelant ses petits-enfants, il leur chuchota dans le
creux des oreilles :"Mes petits, cette merveilleuse trouvaille ne doit pas se perdre. Prenez le livre, prenez ma voix, je vous offre tout. Mais
en échange promettez à votre vieux papy de perpétrer la magie des contes racontés à la lueur des bougies, le soir, quand on a besoin d'un petit coup de rêves éveillés pour sombrer dans un sommeil doux comme de la barbe à papa". Les petits, les yeux brillants, acquiescèrent vivement. C'est comme cela que les contes se propagèrent de pays en pays,
de langues en langues, au gré de leurs voyages et de la voix de Monsieur qui, ne le rejoignant jamais,
traversa monts et vallées pour se faire entendre.
Monsieur fut à jamais un mort muet.
Mais le muet le plus heureux qu'il soit.
Et puis les morts ne parlent pas, de toute façon. Pas vrai ?
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