samedi 23 mai 2015

Le Chant des Partisans


<< https://www.youtube.com/watch?v=HWhblf8DsCY >>

Je me présente, je m'appelle Henri, 19 ans, juif et membre actif de la Résistance. Je fais donc parti de ce groupe de gens qui aimerait que le monde change, qu'il redevienne un petit peu plus joyeux et qui s'en donne les moyens. C'est pourquoi je me retrouve là, devant un immense homme à la carrure imposante qui me fixe de ses yeux bleus perçant en me secouant des tracts à la figure. Des tracts ? Que dis-je, LES tracts ! ne puis-je m'empêcher de penser, oubliant de l'écouter. Ceux censés redonner force et courage à tout le peuple grâce à la chanson "Le chant des Partisans" inscrit dessus. C'est sûrement pour cela que le chef de notre réseau insiste autant sur ma décision, d'ailleurs.
- T'es sur de toi petit, vraiment sur ? qu'il me demande toutes les cinq secondes. Je crois qu'il sait aussi bien que moi qu'en diffusant le chant je me jette dans la gueule du loup.

Je vous ai passé le récit de notre longue discussion où j'argumentais sur mon envie de participer à la cause, les yeux brillants et le ton haut, plaidant mon cas en gesticulant dans tous les sens, tandis que de son côté il arguait que j'étais peut-être trop petit pour porter un tel poids sur mes épaules. Il faut dire que mon allure chétive ne donne pas non plus vraiment confiance en ma capacité à être fort. Mais l'important à retenir reste que je me retrouve à attendre le bus, les tracts dans ma sacoche, prêt à tout pour remplir ma tâche. Enfin je me dis maintenant que c'était plus facile de penser au danger que cette histoire représente bien à l'abri au siège. A l'heure actuelle, je regarde les gens marcher devant moi et je me demande : Pourquoi ne puis-je pas jeter les papiers en l'air ici même avant de partir en courant ? Pourquoi ne pas les donner aux passants en leur spécifiant de répandre cette chanson partout où ils passeraient ? Mais en même temps une petite voix me souffle la réponse : tout simplement parce que les autres accorderont tout autant d'importance au chant en lui-même qu'à la manière dont il a été diffusé. Et que si celle-ci se résume à un jeune garçon fuyant à toutes jambes en jetant derrière lui des feuilles comme des confettis en jours de fête, on risque plutôt de s'interloquer en se demandant qui est ce fou que de se révolter. J'en suis toujours là dans mes interrogations, à douter de mon côté rationnel qui doit forcément être un peu déréglé vu ce que je viens d'accepter de faire, quand le bus arrive dans un nuage de poussière. "Enfin..", je souffle tout bas; car sa venue signe la fin de la première étape : l'attente. Je grimpe en même temps que la foule, me trouve une place au fond et m'installe dans un petit coin, le corps recroquevillé sur lui-même, protégeant de ma masse mon sac. Quel trésor vaut-il qu'on risque sa vie pour le préserver ? Mon cœur tambourine dans ma poitrine et semble vouloir sortir de mon corps un peu plus à chaque arrêt. Je suis sûr de survivre quand on roule parce que pour l'instant, personne ne me paraît suspect, mais dès que quelqu'un de nouveau entre j'ai peur qu'il porte l'uniforme maudit. Je me suis mis à transpirer et j'ai l'impression que tout le monde me fixe. Arrête, t'as l'air coupable ! Change de tête ! Ne souris pas, ne pleure pas non plus, ne montre rien ! J'ai beau m'exhorter à l'indifférence, je suinte de peur. C'est l'étape la plus risquée, celle où tout se joue. Soit j'ai de la chance et je finis ma traversée tranquille, n'ayant plus que quelques pas à faire en descendant pour donner les milliers d'exemplaires à mon coéquipier chargé de les faire tomber du ciel, plus tard, soit je me fais prendre et Dieu seul sait alors ce qui m'arrivera.
Il ne me manque plus que deux arrêts et tout sera fini. Plus qu'un. Je descend, léger. Un discret soupir s'échappe de mes lèvres alors qu'une cape de soulagement s'abat sur moi. J'accélère le pas, courant presque. Plus rien ne semble m'arrêter et dans ma tête, la guerre est déjà gagnée, parce que cette chanson va marquer la fin d'un règne, j'en suis certain. C'est alors qu'une main se tend, me saisit le poignet et me tire brusquement.
- Eh petit, tu viens d'où comment ça ?
Un sergent, un sourire goguenard plaqué sur la figure, me fixe, une lueur malveillante dans les yeux. Pas de panique, pas de panique, je peux encore m'en sortir ! Je sais qu'il n'attend pas vraiment de réponse, alors je le fixe juste en attendant qu'il me lâche. Je prie Dieu de me sauver en essayant de contrôler ma respiration. Il ne s'est encore réellement rien passé. Tant qu'il ne regarde pas du côté de la sacoche, tout va bien.
- Montre-moi ce que tu portes là.
Je crois qu'il lit dans les pensées, c'est impossible sinon. Mais je ne veux pas qu'il voit les tracts, je ne veux pas qu'il les touche. Est-ce que j'ai le temps de partir en courant ? Dans un demi-millième de secondes il va comprendre que je cache quelque chose à mon manque de réaction. Alors, je me dégage et je pars en courant. Je ne sais pas ce que j'espère en fuyant ainsi. Peut-être remplir ma tâche, coûte que coûte, tant qu'à en mourir. Il doit avoir analysé les événements, je suis sûr qu'il est sur le point de me tirer dessus. Mais moi, dans quelques pas, je pourrais glisser mon paquet dans notre planque. On le retrouvera peut-être dans longtemps mais on le retrouvera, je le sais. A ce moment, je fais une course contre la montre. En dégageant la sacoche de mes épaules, je pense à ce que j'aurais pu devenir si tout avait été différent et j'espère sincèrement que mon acte changera la donne. J'entends le bruit de l'impact plus que je ne sens la balle s'enfoncer dans mon corps. Une deuxième la suis, bientôt rejointe par une troisième. Y en a-t-il d'autres après ? Je n'arrive plus bien à compter. Je ne sens déjà plus mon corps lorsqu'il bascule avant de s'échouer lamentablement à terre. Mes oreilles sont bouchés et la vie s'écoule à grands flots de sang rouge qui viennent former une flaque. La dernière chose que je vois est la silhouette du soldat se pencher vers moi. Il se demande sûrement pourquoi je souris, il le découvrira bientôt, quand le peuple se révoltera, et alors j'espère qu'il pensera à moi.

Alors ne vous étonnez pas si vous me voyez sourire à la mort, car j'ai trouvé la réponse à ma question : le seul trésor qui vaut le prix qu'on risque sa vie pour le préserver n'est autre que la Liberté.

samedi 16 mai 2015

Comme un enfant

La candeur


<< https://www.youtube.com/watch?v=jwXozO-qKPI >>

Comme un enfant je prends mon doudou. Bouboule. Une espèce d'énorme boule de poils tout doux, avec deux petites oreilles et un joli museau, le tout qui forme une bouille toute mignonne. Je le prends et je le serre très fort tout contre moi. La tête à moitié enfouie sous sa masse, je fixe le vide. Il fait nuit, il fait tard. Dehors, le hululement d'une chouette vient parfois briser le silence qui s'est installé. La maison craque de mille et un bruits, ces bruits qui te faisaient frémir quand, enfant, tu te réveillais en pleine nuit. Seulement, cette fois, je ne dors pas. Je n'ai pas sommeil. Le regard plongé dans des rêves invisibles, je cherche. Qu'est-ce que je cherche ? Quelque chose. Je cherche ce que je dois chercher parce que dans ce cache-cache, un des deux joueurs ne sait pas à qui il a affaire. C'est fou comme dans les moments de doutes tu as tendance à retourner à tes vieilles habitudes. Seulement voilà, ce n'est plus comme avant. Je n'ai pas juste à appeler ma mère pour que tout s'arrange, pas cette fois. Je pourrais toujours lui dire que cela ne changerait rien au fait. La vie passe son cours, les mois défilent, les heures de cours me passent devant le nez sans que je puisse les fixer attentivement et mes dernières minutes de tranquillité filent entre mes doigts sans que rien ne puisse y changer quelque chose. Bientôt, le mot "Fin" apparaîtra sur toutes les lèvres et pour tout le monde il aura une signification différente. Certains se sentiront léger, d'autres seront empli d'un sentiment de plénitude complet. Et puis il y aura ceux qui pleureront à ces personnes qu'ils perdront à l'instant même où la cloche sonnera pour la dernière fois avant deux mois. Il y aura des embrassades, plein de câlins à l'horizon. Des larmes, sans aucun doute. Des numéros de téléphone échangés à la va-vite, peut-être, et même certaines personnes qui partiront sans rien dire, en silence, comme à leur habitude. Mais si vous cherchez bien, vous verrez, parmi tout ce brouhaha, des jeunes qui partent à la découverte, empli de l'amour de leurs proches. Ils ne se rendront peut-être pas compte de ce qu'ils gagnent, mais ils auront pleinement conscience de ce qu'ils perdent. La sûreté d'une classe déjà faite, d'un bâtiment grand mais pourtant mémorisé jusqu'à ces moindres recoins, de professeurs connus et de surveillants qui les ont vu grandir. 

Comme un enfant je sens mon cœur se serrer pendant que je réalise qu'effectivement, je sais ce que je perds. Je le sais trop bien, et qu'est-ce que ça fait mal putain. Je me rappelle, l'an dernier, le soulagement que j'avais ressenti en sachant qu'il me restait une année pour me préparer mentalement à dire adieux aux autres. J'avais souri, j'avais même ris avec ma classe. Pourtant, quand on avait dû se séparer pour deux mois, des larmes m'étaient venus, couvrant ma vision d'une enveloppe floutée. J'avais vu le monde en double l'espace de quelques instants, puis j'avais refermé les paupières, m'étais secouée et les avais rouvertes, de nouveau souriante. Et cette année, alors, comment tout serait ? Différent. Qui aura l'honneur de voir le premier de l'eau jaillir de mes yeux ? peut-être même personne, qui sait. J'attendrais peut-être le soir, la nuit venue, pour prendre Bouboule. Avant, quand j'étais trop triste, je prenais doudou lapin et je lui mordais les oreilles. Je ne comprends même pas comment elles ont faites pour tenir et ne pas s'arracher. Maintenant, doudou lapin est aux pieds de mon lit et je préfère attraper Bouboule. Le serrer très fort, tout contre moi, pour expulser ce trop plein d'émotions en faisant jouer mes muscles. Ce qui n'a pas changé, c'est que j'ai encore besoin d'eux. Mes doudous. Trop grande pour les utiliser encore ? Peut-être, et alors ? Vous préféreriez que je m'exprime ? Mais pour dire quoi ? Que ma vie actuelle me manquera ? Mais vous le savez déjà.

+ Parce qu'un enfant, c'est aussi bien toi que moi ♫