lundi 23 mai 2016

Danse


La poupée se balançait derrière son fil, courant, sautant, virevoltant d'un bout à l'autre de la scène. Elle semblait voler par-dessus le sol, tenir dans un infime équilibre qu'elle seule pouvait atteindre sans pour autant jamais le rompre, jamais tomber, sans faire jamais un geste de côté, une posture moins gracieuse. Elle s'élançait, légère comme une plume, défiant les lois de la gravité, pour te dessiner un magnifique jeté, pointes tendues. Puis, en équilibre sur la pointe d'un de ses pieds, elle formait avec le reste de son corps une boule enchantée tourbillonnant sur elle-même. Éblouissant jusqu'aux plus vieux par sa maîtrise de la technique et par la beauté de ses gestes, pas un sourire ne s'échappait sur son visage. Un masque de concentration figeait ses traits alors qu'elle comptait.

1, 2, 3, 1 ,2, 3, 1, 2, 3, 1, 2, 3..

Elle comptait les temps, elle comptait les gens, elle comptait le nombre de figures faites et le nombre de figures restantes. Elle comptait le nombre d'heures qu'il lui avait fallu pour en arriver là et le nombre d'heures quelle devrait faire pour s'améliorer encore, pour aller toujours plus loin. Elle comptait le nombre de kilos qu'on lui avait demandé de perdre, le nombre de sacrifices qu'elle avait dû faire depuis ses débuts, maintenant si loin.. Elle comptait encore le nombre de jours avant qu'elle puisse se reposer et s'imaginait déjà, jogging enfilé, s'entraîner en secret devant son miroir à effectuer les pas basiques du hip-hop. 

- J'aimerais être danseuse moi aussi, c'est bien comme métier ? 

Une petite main s'était tendue, avait saisi le bras de la marionnette en lui déboîtant à moitié un avant-bras plus osseux qu'autre chose. 

- Danseuse ? Un rat d'opéra ? Mais pour quoi faire ?

Reniflant, la jolie créature avait fini par extérioriser devant une petite fille ébahie la frustration grandissante qu'elle ressentait à être ainsi utilisée. Danseuse ballet, mais quel métier. Toujours plus maigre, toujours plus souple, toujours plus gracieuse, toujours plus grande, toujours plus ceci, toujours plus cela.. Le cercle des revendications ne s'arrêtait jamais. Depuis, son visage s'était creusé, ses traits s'étaient marqués et surtout, son sourire l'avait quitté. Lui, libre, dansait en pensée la zumba, s'éclatait aux côtés de la salsa et partait faire quelques pas de modern jazz quand l'envie lui en prenait. 

- Écoute-moi bien petite.

Son regard perdue aux alentours de nul part semblait vide de vie. Comme si danser lui prenait toute son énergie, comme si le plancher de la scène aspirait la moindre goutte restante de plaisir pour s'en nourrir. Démon, monstre, objet de malheur. 

- Jamais la danse classique, tu m'entends ?

Pauvre petite tête blonde traumatisée par la vue d'un spectacle peu ragoutant. Mais y avait-il un âge pour se rendre compte de certaines réalités ? Ne disait-on pas qu'il fallait tuer l'oiseau dans l’œuf ? A moins qu'on dise "Attendez que celui-ci grandisse, il vous fera des petits"?
Danse de malheur, sport de malheur, sport sujet de tous les clichés, de toutes les contraintes, de toutes les demandes.

- Elle te boufferait.

La réponse était définitive, le ton était sec, les gestes étaient froids. Pourtant, pourtant, la poupée s'était déjà envolée à nouveau et reformait la première figure de sa danse.

1, 2, 3, 1 ,2, 3, 1, 2, 3, 1, 2, 3..

jeudi 19 mai 2016

La funambule

http://www.lacartoonerie.com/cartoon/id423227769_dessin-anime-funambule

Sur un fil, je marche sur un fil
Funambule imbécile 
Qui abîme, sa vie fragile


Des fois, t'as l'impression que si tu clignes des yeux ta vie va t'exploser à la figure et tout faire sauter avec elle, tes joies, tes espoirs, tes amis, ta famille, tout. Tu perds l'équilibre, tu tombes et tu tombes et tu tombes sans jamais t'arrêter et c'est effrayant. Alors t'essaies de te rattraper coûte que coûte parce que tu veux pas couler, parce que tu veux pas chuter de ta tour ; mais c'est dur quand y a rien auquel tu peux te raccrocher. Et puis finalement tu plonges, tu t'enfonces dans l'eau comme un canon, lesté de mille et un poids. 
Et puis, sans savoir comment, sans savoir pourquoi, tu retrouves une force que tu ne te savais pas avoir et tu remontes petit à petit, en griffant l'eau, les vagues, la mousse, les coquillages... Tout ce qui t'atteint. Tu le fais pas exprès, non, c'est pas méchant, c'est juste la panique. C'est le retour de l'instinct primaire et de la peur, la panique qui te fait faire n'importe quoi comme le ferait un petit chaton apeuré qu'on essaierait de sauver d'un incendie. 

Et heureusement que y en a, des sauveurs de chatons. 
Parce que sinon, tu serais quoi, toi, aujourd'hui ?

mardi 10 mai 2016

Un avion

Maman, regarde, je vole ! 


<< https://www.youtube.com/watch?v=mYYvnSEV0LA >>

Souvent, quand tu croises un petit garçon ou une petite fille dans la rue, tu peux pas t'empêcher de le regarder en souriant les yeux brillants en te disant qu'un enfant, c'est vraiment trop mignon. Mais pourquoi c'est mignon un gosse ? Pourquoi, lorsque tu vois un ado en train de marcher dans la rue, ça te fait pas cet effet là ? Peut-être parce que l'enfant a toujours cette innocence pure qui brûle dans son corps et émane tout autour de lui, qui transparaît dans son regard et transforme sa vision des choses ; et pas le môme de 17-18 ans. Mais au fait, est-ce lui qui voit le monde tel qu'il est, ou nous ? Perdons-nous, en vieillissant, le "vrai" regard sur le monde ? Serait-il possible que des choses visibles deviennent invisibles en grandissant ? Et pourquoi pas, hein ? 

Le Père Noël, les fées, les licornes, les monstres.. Autant d'êtres mystiques qui venaient illuminer notre sommeil ou ronger nos nuits. Autant d'êtres magiques qui nous faisait rêver les yeux pourtant grands ouverts. Autant d'êtres de cauchemars qui nous terrorisaient, qui nous empêchait de dormir. 
- Maman, t'es sûre qu'il y en a pas dans mon placard ? 
Et sous mon lit, maman, t'as regardé ?
Cette peur irrépressible qui nous clouait en hauteur, nous empêchait de bouger jusqu'à ce que l'on soit assuré que nos pieds ne craignaient rien. Et puis, le soir d'après, le même scénario se répétait et ainsi de suite. Jusqu'à l'arrivée des années. Plus vieux, moins de cauchemars. 
Plus vieux, moins de rêves ? 

Je ne suis pas d'accord avec Rimbaud. On ne naît pas poète parmi la foule, tout le monde est poète. Tout le monde naît avec ce regard rêveur et cette curiosité. Curiosité d'apprendre à marcher, curiosité d'apprendre à parler, curiosité d'apprendre à lire et à écrire, curiosité de découvrir le monde. C'est ensuite que surgissent les différences. Pour certains, cette soif de connaissance s'éteint vite, très vite, trop vite. Pour d'autres, la flammèche devient un feu qui se transforme lui-même en incendie. Peut-être, certes, que tout le monde ne développe pas autant son imagination. Manque d'intérêt pour les livres, pour les films, pour les musiques, pour les autres, pour le monde.. Certes, c'est vrai. Mais au début, chaque bébé est curieux. Chaque nourrisson a envie d'apprendre. Et chaque enfant a des croyances qu'on lui fait perdre par la suite. Mais pourquoi, après tout ? Car les êtres de notre enfance, ceux auxquels on ne croit plus, qu'on n'invoquent plus, qui ne viennent plus nous réconforter... Existent réellement ! Peut-être pas ici exactement, mais dans un ailleurs proche : une autre dimension. J'ai nommé : L'Imagination.

Alors t'es peut-être plus vieux qu'avant, t'as peut-être plus les mêmes envies. T'as sûrement plus les mêmes potes, les mêmes goûts, le même style vestimentaire, les mêmes remarques. La vie t'as peut-être déjà marché dessus, piétinée sans aucun égard, sans même un regard. On t'a sans aucun doute déjà roulé dessus, rendant tes rêves et tes illusions tout plats, noircissant ton regard en y éteignant l'étincelle. Mais c'est à toi de te retrousser les manches maintenant. C'est ta vie, c'est toi qui la commande. Souffle dans tes rêves, regonfle-les. Fais de tes anciennes illusions une réalité. Ouvre toi au monde, à ses richesses, à sa beauté. Rêve. 

Le temps se lève,
Il faut tenter de vivre.